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Woman at War

Woman at War

Benedikt Erlingsson, Islande/France/Ukraine, 2018, 1h41

Synopsis :
Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande… Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie…
Pourquoi avons-nous choisi ce film ?
Woman at war n’est pas seulement un film militant pour l’écologie. C’est aussi un film d'aventure, un film d’action, un film à suspens et une comédie. C’est enfin un film de femme guerrière qui rappelle celle des sagas nordiques. Le tout dans les magnifiques paysages d’Islande.
  • Documents enseignants sur le film

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    • Télécharger l'affiche du film
    • Formation enseignants :
      Vendredi 8 octobre, niveau 4ème/3ème
      9h15 - Café des images, Hérouville Saint-Clair (14) :
      Projection du film suivie d’un échange avec le réalisateur (en visio conférence). Cette rencontre est proposée en partenariat avec le festival des Boréales
      14h - Bibliothèque de Tocqueville, Caen (14) :
      Analyse du film par Amélie Dubois, rédactrice et Kristina Doré, enseignante en Lettres
  • © Psychose

    PISTES PÉDAGOGIQUES

    • Pistes pédagogiques de Kathia Nasillski, Professeure détachée service éducatif à Normandie Images
      Découvrir les pistes pédagogiques sur la plateforme Genially
      Avant projection :
      - Rencontre avec le réalisateur
      - Contexte géographique et analyse de l'afficheCorrection du questionnaire
      - Des films catastrophes
      Après projection :
      - Analyse de la séquence d’ouverture... Correction du questionnaire
      - Des figures mythologiques et des références cinématographiques... Correction du questionnaire
      - Des films catastrophes
    • DAAC de Poitiers : analyse de séquence, portrait d’une femme, surprises du récit, une héroïne de la mythologie...
    • Les Grignoux : analyse et pistes de réflexion
  • À VOIR

    • Entretien avec Halldóra Geirharðsdóttir, l’actrice principale du film
  • © Psychose

    Sites partenaires

    • Transmettre le cinéma :
      Fiche du film, analyses et ressources vidéo
    • CNC :
      Entretien avec le réalisateur, lauréat du Prix Lux 2018

CONTACTS

  • Mélanie Tellini

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    Chargée de mission Éducation aux Images (Coordinatrice Collège au Cinéma 14, Jumelages et Partenariats )
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    02 31 06 23 24
    06 08 72 82 83

    Normandie Images
    Pentacle Bât C – 5 avenue de Tsukuba
    14200 Hérouville-Saint-Clair
  • Benoît Carlus

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    Responsable des contenus pédagogiques et ressources numériques
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    02 35 89 12 54
    06 37 12 79 80

    Normandie Images
    Atrium - 115 boulevard de l'Europe
    76100 Rouen
  • Kathia Nasillski

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    Professeure détachée service éducatif
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    Normandie Images
    Atrium - 115 boulevard de l'Europe
    76100 Rouen

fiche film, fiche film 2022-2023

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Wadjda une fable initiatique universelle

Wadjda

UNE FABLE INITIATIQUE UNIVERSELLE

Passer de 4 roues à 2 roues

Baskets converse et jean sous le voile, cassettes de chansons d’amour et bracelets de foot planqués dans le sac, regard parfois arrogant, répartie souvent malicieuse, Wadjda fascine. Elle n’a peur de rien. Audacieuse, elle est prête à tout pour bousculer les carcans de cette société étouffante pour les femmes. Tirant sa force de cette quête immense de liberté, elle ne recule devant rien. Ni les interdits familiaux. Ni les interdits sociétaux. Rien ne l’empêchera de s’acheter ce beau vélo vert.

La force du film est de raconter cette histoire en peignant à la fois ce caractère effronté d’une puissance incroyable mais aussi ce moment de passage, typique des récits d’apprentissage. Car Wadjda est entre deux âges : ni tout à fait une enfant ni encore une adolescente. Si elle se balade tête nue ou joue à la marelle dans la cour de récréation, elle doit désormais porter une abaya à la madrasa, vêtement ample et long réservé aux femmes nubiles, qui cache les formes. Et de toute façon, l’adolescente sommeille en elle : vernis à ongles sur les pieds comme Fatin et Fatima, chansons d’amour à fond dans la chambre, rébellion contre sa mère ou contre la directrice de l’école. Clairement, elle n’a plus envie d’être vue comme une enfant. Elle le crie avec rage à Abdallah qui lui propose, sur le toit-terrasse, un vélo à roulettes : « Tu me prends pour une gamine ? ». Bref, elle grandit. Mais quels horizons s’offrent à elle ?
  • Wadjda adopte les mêmes codes que Fatin et ​Fatima : elle se met aussi du vernis à ongles, signe du passage vers l’adolescence.

  • Wadjda adopte les mêmes codes que Fatin et ​Fatima : elle se met aussi du vernis à ongles, signe du passage vers l’adolescence.

Wadjda adopte les mêmes codes que Fatin et Fatima : elle se met aussi du vernis à ongles, signe du passage vers l’adolescence.
Ce moment de transition est mis en lumière par le motif de la porte. Wadjda passe un seuil. Fermant la porte de l’enfance, elle ouvre celle qui mène vers l’adolescence.

Un environnement répressif

Comme dans les récits initiatiques, Wadjda découvre les réalités complexes du monde qui l’entoure par l’expérience. Mais tous les endroits qu’elle traverse sont marqués par des interdits. À la maison, sa mère lui demande de ne pas chanter trop fort en présence d’hommes, au risque d’être entendue, ou de vite débarrasser le repas pour que son père ne "fasse pas de scène". Elle lui demande de ne pas écouter de chansons d’amour qui “causent des problèmes”. C’est le même refrain à l'école. Mme Hessa lui ordonne de rentrer dans la classe pour "se cacher" (littéralement) du regard des hommes. L’enseignante l’exclut car Wadjda ne veut pas chanter les sourates du Coran. Bref, ce monde plein de règles sera l’obstacle principal dans sa quête : le vélo qui est l’objet de son désir…et un interdit. Un interdit parmi tant d’autres qui l’attendent dans cette société conservatrice : on apprend que les femmes ne peuvent pas conduire, doivent porter le voile, ne peuvent travailler avec des hommes, etc.

Cette confrontation à un environnement restrictif dans lequel tout semble limite se traduit par de nombreux " cadres dans le cadre " ou "surcadrages". Ce procédé désigne l’utilisation dans le champ d’un élément du décor pour créer un cadre (plus petit) à l’intérieur du cadre. Cela souligne l’enfermement des personnages, prisonniers d’un espace. Toutes les perspectives semblent bouchées.
Chez elle, les lignes droites et perpendiculaires des murs de la maison forment un cadre dévoilant un jardin dont on ne voit qu’une petite parcelle.

Chez elle, les lignes droites et perpendiculaires des murs de la maison forment un cadre dévoilant un jardin dont on ne voit qu’une petite parcelle.

Le prince Al-Walid ben Talal apparaît à la fin du film sur cette affiche d’autobus. Il semble saluer la course des deux protagonistes vers l’avenir… et le progrès.
Chez elle, les lignes droites et perpendiculaires des murs de la maison forment un cadre dévoilant un jardin dont on ne voit qu’une petite parcelle.
À l’école, les murs des immeubles ne permettent pas de voir l’horizon. Seuls les ouvriers à l’arrière-plan ont une vue dégagée.

À l’école, les murs des immeubles ne permettent pas de voir l’horizon. Seuls les ouvriers à l’arrière-plan ont une vue dégagée.

Le prince Al-Walid ben Talal apparaît à la fin du film sur cette affiche d’autobus. Il semble saluer la course des deux protagonistes vers l’avenir… et le progrès.
À l’école, les murs des immeubles ne permettent pas de voir l’horizon. Seuls les ouvriers à l’arrière-plan ont une vue dégagée.
Entre quatre murs, Wadjda n’a pas d’espace pour bouger.

Entre quatre murs, Wadjda n’a pas d’espace pour bouger.

Le prince Al-Walid ben Talal apparaît à la fin du film sur cette affiche d’autobus. Il semble saluer la course des deux protagonistes vers l’avenir… et le progrès.
Entre quatre murs, Wadjda n’a pas d’espace pour bouger.
Ces surcadrages sont parfois associés à des raccords de regard. Ce procédé de montage relie les plans ainsi : on voit d’abord un personnage regarder quelque chose, puis le plan suivant dévoile l’objet de son regard, comme c’est le cas ici. Wadjda se tourne vers sa mère. Le plan suivant raccorde sur ce qu’elle voit.
On peut constater que la vue de Wadjda est obstruée par des obstacles (ici les pans de murs jaunes). Mais être libre, c’est aussi pouvoir regarder librement autour de soi. Or ce n’est pas le cas ici. Le raccord regard nous permet de mieux comprendre ce que vit le personnage en adoptant son point de vue. Le procédé exprime une liberté empêchée, une vision limitée, sans perspective.
Les cadrages resserrés transmettent la même sensation d’enfermement. Les personnages n’ont pas d’espace pour se construire ni pour bouger. Cette échelle de plan souligne la violence de cette société pour les femmes.

Wadjda, personnage-spectateur

C’est par l’expérience mais aussi par l’observation du monde que le regard de Wadjda évolue. La cinéaste représente souvent la petite fille comme spectatrice (parfois impuissante) de l’action. Des destins de femmes se dessinent autour d’elle : celui d’Abeer, de sa mère, de Fatin et Fatima, de Salma.
Wadjda écoute la conversation téléphonique de sa mère avec Leïla, à propos d’Abeer et son amant, surpris par la police des mœurs.

Wadjda écoute la conversation téléphonique de sa mère avec Leïla, à propos d’Abeer et son amant, surpris par la police des mœurs.

Wadjda écoute la conversation téléphonique de sa mère avec Leïla, à propos d’Abeer et son amant, surpris par la police des mœurs.
Wadjda écoute ses parents se disputer au sujet du remariage de son père.

Wadjda écoute ses parents se disputer au sujet du remariage de son père.

Wadjda écoute ses parents se disputer au sujet du remariage de son père.
Dans la cour de récréation, elle observe Mme Hessa réprimander Fatin et Fatima, accusées de commettre un péché.

Dans la cour de récréation, elle observe Mme Hessa réprimander Fatin et Fatima, accusées de commettre un péché.

Dans la cour de récréation, elle observe Mme Hessa réprimander Fatin et Fatima, accusées de commettre un péché.
Cette position de spectatrice permet d’articuler finement ces micro-récits à l’histoire « principale » (la quête de Wadjda pour obtenir son vélo). Loin d’être des intrigues secondaires, elles sont toujours racontées par le prisme du regard de la fillette dont on montre les réactions. Des plans rapprochés mettent en lumière ses prises de conscience, ses émotions, ses inquiétudes, ses tiraillements. Ils révèlent son cheminement intérieur et nous permettent de la comprendre. Cette figure du personnage-spectateur filé tout au long du film reflète notre propre position et renforce la violence de cette société. Le point de vue d’une enfant en accentue la violence répressive.

Le désir : un interdit

Ces micro-récits ont en commun de parler du désir et de son interdiction. Cette tension crée chez Wadjda, au moment du passage vers l’adolescence, une sensation de perspectives bouchées. En effet, elle connaît peut-être un éveil amoureux. Elle aime les chansons d’amour qu’elle écoute à fond dans sa chambre ou qu’elle chante avec sa mère en préparant le repas. Elle a une relation forte avec Abdallah : ils se retrouvent un jour sur le toit-terrasse, les jambes se balançant dans le vide, gênés peut-être par ce qu’ils ressentent. Mais si la cinéaste parle du désir, de l’amour ou de la séduction, elle en rappelle aussitôt les limites. Ici on ne peut vivre cela simplement. Abeer a pu rencontrer son amant, mais ils ont été surpris par la police des mœurs. Ses parents s’aiment encore, mais son père doit se remarier car le couple n’arrive pas à avoir de garçon (la responsabilité est tout de suite mise sur la mère). Sa mère revêt une belle robe rouge dans les toilettes du centre commercial. Mais à peine essayée, elle se recouvre de son abaya noire.

Le motif de la grille à l’arrière-plan dans le décor exprime souvent cet interdit du désir. Évoquant l’espace carcéral, les barreaux envahissent tous les lieux, comme si aucun domaine de la vie ne pouvait échapper aux règles de cette société conservatrice.
La cinéaste montre l’interdit de la sexualité : les deux adolescentes sont accusées par Mme Hessa d’avoir “péché”.

La cinéaste montre l’interdit de la sexualité : les deux adolescentes sont accusées par Mme Hessa d’avoir “péché”.

Dans la cour de récréation, elle observe Mme Hessa réprimander Fatin et Fatima, accusées de commettre un péché.
Le surcadrage et les barreaux à l’arrière-plan révèlent un personnage empêché par le poids des traditions et des interdits, qui ne peut vivre un amour simplement.

Le surcadrage et les barreaux à l’arrière-plan révèlent un personnage empêché par le poids des traditions et des interdits, qui ne peut vivre un amour simplement.

Le surcadrage et les barreaux à l’arrière-plan révèlent un personnage empêché par le poids des traditions et des interdits, qui ne peut vivre un amour simplement.
Il y a aussi l’interdit d’être soi, de se révéler, de s’exprimer.

Il y a aussi l’interdit d’être soi, de se révéler, de s’exprimer.

Il y a aussi l’interdit d’être soi, de se révéler, de s’exprimer.
Wadjda fait donc la découverte dans un même temps d’un monde de désirs et d’envies mais aussi de leur interdiction, répression. Elle est confrontée à un impossible.

Mentir ?

Mais dans ce monde, les personnages rusent, mentent, dissimulent pour vivre leurs envies. Mme Hessa invente une histoire de "voleur" pour cacher sa rencontre avec son amant chez elle. Abeer demande à Wadjda de transmettre une lettre à son soi-disant « frère ». Wadjda n’est plus dupe de cette hypocrisie. Elle ne voit plus le monde de la même façon. Elle se moque de Mme Hessa en l’imitant crier "au voleur". Elle rétorque à l’amant d’Abeer qui attend à la sortie de l’école que “même ses billets sentent le parfum”. Le motif du rideau qui revient sans cesse dans le décor du film rappelle que c’est un monde de théâtre, de jeu, de masque. Wadjda l’a compris : tous contournent les interdits, même ceux qui imposent les règles.
 Les rideaux sont présents derrière Mme Hessa qui joue le rôle de la femme exemplaire.

Les rideaux sont présents derrière Mme Hessa qui joue le rôle de la femme exemplaire.

Les rideaux sont présents derrière Mme Hessa qui joue le rôle de la femme exemplaire.
On aperçoit les rideaux à l’arrière-plan lors de la prière matinale.

On aperçoit les rideaux à l’arrière-plan lors de la prière matinale.

On aperçoit les rideaux à l’arrière-plan lors de la prière matinale.
On aperçoit les rideaux à l’arrière-plan lors de la prière matinale.

On aperçoit les rideaux à l’arrière-plan lors de la prière matinale.

Les camarades de classe de Wadjda font mine d’être des filles bien élevées et croyantes. Le sont-elles vraiment ?
On comprend le tiraillement du personnage. Pourra-t-elle faire semblant indéfiniment comme toutes les autres ? Si Wadjda porte le masque un temps pour gagner le concours de tartil, ce sera provisoire. A peine le concours gagné, elle avoue ses vraies motivations devant ses camarades hilares. Car la liberté dont elle rêve n’est pas seulement intérieure : c’est une liberté affichée, bien visible, tangible… comme faire du vélo dans la rue.

WADJDA, JEAN ET BASKETS SOUS LE VOILE

fiche interactive

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Wadjda autour du film

Wadjda

AUTOUR DU FILM : QUAND SORTIR UN FILM EST UN ÉVÉNEMENT… ET UNE GAGEURE !

Réaliser un film dans un pays où le cinéma n’existe pas — de surcroît quand on est une femme — c’est un défi. Retour sur une destinée incroyable et un tournage inédit.

Des cassettes VHS

On évoquera ici les éléments essentiels pour éclairer la compréhension du film. D’autres ressources sur la réalisatrice sont disponibles en ligne en suivant ce lien : Wadjda

Une vocation pour le cinéma qui naît grâce à des cassettes VHS, c’est assez peu commun. Pourtant, c’est l’histoire de Haifaa al-Mansour, née en 1974, dans une petite ville d’Arabie saoudite, au sein d’une famille libérale de classe moyenne, dans un pays où le cinéma n’existe pas. Ni salle de cinéma, ni ciné-club, ni diffuseur, ni industrie. Un no man’s land cinématographique. Car le septième art est jugé incompatible avec les lois islamiques qui interdisent la représentation des hommes : « la stricte interprétation de la religion exclut l’art de la vie publique et de la société » explique la réalisatrice. Les salles de cinéma étant proscrites depuis 1980, on regarde des films sur le petit écran, en famille. Très jeune, Haifaa al-Mansour découvre le cinéma grâce à son père, avocat et poète : des films de Bruce Lee, Jackie Chan, des réalisations de Bollywood, des blockbusters ou encore des mélodrames égyptiens.

E.T. DANS L’ŒUVRE DE STEVEN SPIELBERG

E.T. DANS L’ŒUVRE DE STEVEN SPIELBERG

Une vocation

Être cinéaste dans un tel cadre semble difficile. Pourtant sa vocation la rattrape. Après des études de littérature comparée à l’Université américaine du Caire, elle intègre une compagnie pétrolière aux Émirats Arabes Unis pour y enseigner l’anglais. Mais elle s’ennuie. Elle rejoint alors le service vidéo de l’entreprise où elle s’initie au montage et à la mise en scène. C’est une révélation : « j’y voyais enfin le moyen de m’exprimer » déclare-t-elle. Elle tourne trois courts-métrages entre 2004 et 2005 : Who ?, The Bitter Journey, The Only Way Out. En 2005, elle réalise Women Without Shadows (2005), un documentaire consacré à la condition des femmes saoudiennes, sélectionné dans plus de 17 festivals. Ça y est. La thématique de sa filmographie est lancée : la condition des femmes dans son pays natal, un vrai engagement. Mais c’est décidé, son prochain film ne sera pas un court mais un long métrage : Wadjda. Tourné avec des acteurs saoudiens uniquement. Et en Arabie saoudite.

De la détermination

On mesure l’enjeu que ce film représente. Ce sera le premier de l’histoire du cinéma d’Arabie saoudite. Le pays est pour l’instant sans héritage cinématographique. Quelques films peut-être mais qui « avaient été tournés à Bahreïn ou dans les Émirats avec un scénario égyptien, une actrice jordanienne » rappelle la cinéaste. On voit aussi l’audace de la réalisatrice. Dans un gouvernement hostile à l’art, comment financer ce projet ? Trouver des acteurs qui accepteront d’être filmés ? Tourner dans une ville où la mixité dans les lieux publics est interdite ? Diffuser le film ?

Une coproduction allemande

Mais à chaque difficulté, la cinéaste s’arme de patience et d’ingéniosité pour composer avec la réalité culturelle du pays et surmonter les obstacles. Elle convainc d’abord, lors de la Berlinale de 2009, une société de production allemande, Razor Films, les producteurs de Valse avec Bachir (2008) d’Ari Folman et de Paradise Now (2005) de Hany Abu-Assad. Séduits par le scénario, ils soutiennent une partie du projet. Et contre toute attente, elle réussit à bénéficier de l’appui des studios Rotana du prince progressiste Al-Walid ben Talal. « Il a été sensible à mon point de départ simple : une fillette et un vélo qui représentent le progrès, la modernité, la liberté de mouvement, l’accélération. » déclare-t-elle.
Le prince Al-Walid ben Talal apparaît à la fin du film sur cette affiche d’autobus. Il semble saluer la course des deux protagonistes vers l’avenir… et le progrès.

Le prince Al-Walid ben Talal apparaît à la fin du film sur cette affiche d’autobus. Il semble saluer la course des deux protagonistes vers l’avenir… et le progrès.

Le prince Al-Walid ben Talal apparaît à la fin du film sur cette affiche d’autobus. Il semble saluer la course des deux protagonistes vers l’avenir… et le progrès.
Le prince Al-Walid ben Talal apparaît à la fin du film sur cette affiche d’autobus. Il semble saluer la course des deux protagonistes vers l’avenir… et le progrès.

Le casting

Le casting s’est avéré aussi compliqué que la recherche de financements. “Pour le rôle de Wadjda, beaucoup de petites filles ont passé les auditions et ne sont jamais revenues. Elles ne sont pas habituées à être filmées.” La cinéaste est donc passée par des petites sociétés de production locales qui recrutaient des chanteurs et danseurs. « C’est ainsi que j’ai pu choisir Waad Mohammed, qui jouait dans un petit théâtre. Quand elle est arrivée, elle m’a tout de suite convaincue : elle portait un jean, des baskets Converse, écoutait du Justin Bieber et faisait déjà preuve d’un tempérament bien trempé. »

Waad Mohammed et Haifaa al-Mansour à la 69e édition du Festival international de Venise en août 2012.

Waad Mohammed et Haifaa al-Mansour à la 69e édition du Festival international de Venise en août 2012.

Un tournage au talkie-walkie

Enfin, la réalité culturelle du pays a parfois compliqué le tournage à Riyad où la mixité dans l’espace public est interdite. Pour respecter la ségrégation hommes / femmes, elle a parfois dirigé son équipe à l’aide d’un talkie-walkie. Cachée dans un van, elle donnait des indications de jeu par téléphone. « Je regardais les scènes sur un moniteur. Et je dirigeais mes acteurs au téléphone ! Ce qui vous oblige à donner des indications très précises. C’était difficile, mais en même temps, c’était un défi créatif. » Un défi qui valait le coup. Le succès du film est tel à la télévision saoudienne, qu’un an après, la bicyclette est enfin autorisée pour les femmes dans l’espace public !
La carrière de la réalisatrice est maintenant prolifique. Voici quelques titres plus récents de sa filmographie : Mary Shelley (2017), Une femme de tête (2018), The Society (2019), The Perfect candidate (2019).

Synopsis

affiche Wadjda

C’est une toute petite histoire pour un grand désir. Wadjda, une fillette de douze ans vivant dans une banlieue de Riyad, la capitale de l’Arabie saoudite, veut s’acheter un vélo pour faire la course avec son ami Abdallah. Rien de plus universel a priori. Sauf que, dans ce royaume, les femmes ne sont pas autorisées à monter sur une bicyclette : cela menacerait leur vertu ou les rendrait stériles. Mais Wadjda se fiche de ces règles et croyances absurdes. Bousculant les interdits, elle fait tout pour acheter ce beau vélo vert vu chez le marchand du coin, qui représente un idéal de liberté et d’émancipation… quitte à ruser, mentir, dissimuler, incarner la bonne musulmane croyante pour gagner le concours de tartil (récitation et commentaire du Coran) proposé par son école.

Avant la projection, on peut analyser brièvement cette affiche avec les élèves. Le personnage principal, Wadjda, porte des baskets Converse, symbole de son originalité. La couleur des lacets est reprise dans le titre : le violet contraste avec les vêtements plus sombres qu’elle porte. La petite fille semble empêchée, entravée : le haut de son visage ne rentre pas dans le cadre. Son regard est tourné vers la gauche, vers un hors-champ : elle rêve d’un ailleurs qui est encore à inventer. Elle a besoin de sortir de ce cadre trop étroit pour ses désirs.

UNE FABLE INITIATIQUE UNIVERSELLE

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Wadjda, jean et baskets sous le voile

Wadjda

WADJDA, JEAN ET BASKETS SOUS LE VOILE

Wadjda se fiche des codes et affiche sa différence, la revendique. Elle n’arrête pas de répéter à tout le monde qu’elle veut s’acheter un vélo (à sa mère, son père, Abdallah, Mme Hessa, etc.) Bousculant les codes sociétaux, familiaux et de genre, elle invente et construit sa liberté pour échapper à ce cadre rigide qui l’attend. La séquence d’introduction est assez emblématique de ce caractère frondeur.

L’analyse filmique : objectifs et méthode

L’analyse filmique est un exercice qui peut être pratiqué en classe de façon collaborative. Il vise à approfondir la compréhension de la séquence d’un film en décrivant et en analysant simplement ce que l’on voit / entend à l’écran, puis en proposant des pistes d’interprétation. Pour commencer, on peut mettre en commun à l’oral les émotions ressenties par les élèves pour ensuite identifier les procédés visuels et sonores qui ont pu en favoriser l’émergence. Pour plus de détails, on peut se reporter à ce dossier : https://normandieimages.fr/approchedunfilm/

Situation et enjeux de la séquence

Cette séquence d'exposition présente d’emblée Wadjda comme un personnage hors-norme, qui refuse de rentrer dans le cadre. Comment les procédés de mise en scène contribuent-ils à créer cette impression ?

Wadjda ou sortir du rang

On entend des chants religieux psalmodiés à voix haute, en chœur, par des voix féminines. Un gros plan découvre plusieurs pieds chaussés de souliers noirs, alignés côte à côte, avec au centre une paire de petites ballerines avec des volants blancs, sûrement une fille plus jeune.
Ces premières images racontent des corps « empêchés », contraints. En effet, d’un côté, la composition symétrique du plan avec ses lignes horizontales et verticales marquées traduit l’idée d’enfermement. Mais les timides mouvements des pieds et le balancement des robes expriment le désir de mouvement. Cette même tension est filée au plan suivant. Cela est aussi révélateur d’une certaine uniformité. Personne n’est individualisé. Aucun visage. Le cadrage sur les pieds, assez insolite pour une scène d’exposition, réduit les personnages à des corps que l’on recouvre de tenues identiques, fondant les jeunes filles dans une même masse destinée à rester dans le rang.
Car se déplacer, symboliquement, sortir du cadre, est interdit. Le pas de côté — littéralement — est repris. Dans un plan moyen dévoilant les lieux de l’action, une école coranique, une institutrice ordonne aux fillettes de reprendre leur place. Elles s’exécutent, s’alignent en face de l’institutrice et… devant un public imaginaire. Des chaises vertes sont en effet disposées à l’arrière-plan. Elles rappellent une salle de spectacle, comme si, placées sur une estrade, les filles étaient tenues de « jouer » aux élèves modèles, d’incarner des bonnes musulmanes croyantes. Le film dénonce alors l’hypocrisie de cette mise en scène / scénographie du discours religieux. La madrasa est un lieu où l’enseignement religieux ne se transmet pas vraiment : il s’exerce sur des personnes peut-être trop jeunes pour le comprendre.
Un plan rapproché poitrine dévoile enfin quelques visages : quatre fillettes du même âge. Le cadrage resserré les étouffe. Collées les unes aux autres, elles n’ont pas d’espace. Wadjda, pour le moment au second plan, se distingue des autres par la direction de son regard. Les trois filles regardent droit devant elles tandis que Wadjda, visage incliné, a les yeux qui se baladent vers un hors-champ inconnu. Elle s’ennuie, n’est pas convaincue par les paroles des sourates. Facilement distraite, elle salue d’un sourire et d’un geste de la main deux adolescentes — Fatin et Fatima. Un geste immédiatement repris : les mains sont tenues de rester le long du corps. L’institutrice l’interpelle. Le chœur de voix s’interrompt.

Dans un mouvement théâtral, — comme si on ouvrait un rideau — les petits pieds s’écartent pour laisser place à la vedette qui s’avance maladroitement : Wadjda ou plutôt une superbe paire de chaussures Converse aux lacets violets. Ses baskets la caractérisent (on les retrouve sur l’affiche) : elles sont l’emblème de l’originalité de la jeune fille, témoignent des influences extérieures au royaume, de son ouverture d’esprit.

Et Wadjda est mise à l’épreuve par l’institutrice, devant le groupe. Celle-ci lui demande de chanter des sourates du Coran. Wadjda sèche. On lit l’embarras sur son visage dans un plan rapproché. Le groupe ricane. Le face à face entre Wadjda et l’institutrice est alors riche de sens. La composition du plan laisse au centre un grand vide entre les deux personnages. Symboliquement, cela peut retranscrire la distance avec laquelle Wadjda ressent cet enseignement religieux : elle n’y adhère pas.

Différente des autres écolières, le plan suivant renforce cette impression. Dans un plan moyen en contre-plongée, Wadjda est face à nous tandis que toutes les autres filles sont filmées de trois-quart. Wadjda est bien en marge, à l’écart du groupe, hors-norme. Refusant de chanter les sourates — donc de faire preuve d’hypocrisie —, elle se dérobe, baisse les yeux. L’institutrice la « punit » alors au soleil. Wadjda se retrouve dehors, un peu à la manière de l’enfant de ce court-métrage d’Abbas Kiarostami. La différence n’a pas lieu d’être ici.

La chorale reprend ensuite de plus belle. On entend les fillettes chanter à l’unisson ce même couplet, plus fort qu’au début.

Ce plan moyen ressemble à une pathétique photo de classe, façon de souligner l’immobilisme dans lequel la société est figée. L’absence de Wadjda est révélatrice : elle ne sera pas photographiée, “figée” aux côtés de cette communauté.

La madrasa, une prison à ciel ouvert

Si les salles de la madrasa créaient un effet d’étouffement, la cour renforce cette impression. Alors que le passage vers l’extérieur pourrait rimer avec respiration, au contraire, l’étau semble se resserrer autour du personnage. Quel que soit l’espace. Car ici le soleil est détourné de sa fonction “positive” pour servir de punition. Wadjda doit rester en plein soleil, subir une chaleur écrasante. Pour s’extraire mentalement de cette prison — trouver une échappatoire — Wadjda semble renouer avec sa liberté intérieure. Peut-être avec son côté créatif, maintenant qu’elle est à l’abri du regard des autres. Car ses pieds filmés en gros plan battent une mesure, mais pas celle des sourates. Un autre thème commence, celui qui, par la suite, sera associé au vélo. La musique communique aux spectateurs ce désir d’évasion. Le motif de la grille et des barreaux aux fenêtres rappelle l’enfermement.

Wadjda lève les yeux. C’est un plan subjectif (on découvre ce que Wadjda voit si l’on était à sa place).
Au-delà de sa portée descriptive (des grillages même au-dessus des murs), ce plan retranscrit peut-être des émotions de Wadjda. Divisée en deux par cette diagonale qui détermine des espaces, l’image exprime quelque chose de très manichéen, propre à l’enfance. Wadjda est sans nuance : elle sera libre ou non.
Le plan suivant revient sur le visage de la fillette se tenant la tête pour se protéger. Mais un léger vent soulève ses cheveux — symboliquement, peut-être, un vent de rébellion. Le titre s’affiche.

Wadjda, entre trafic de bracelets et désir d’indépendance

Si Wadjda vit dans une société coercitive, elle garde sa liberté intérieure. Mais cette liberté dont elle tire sa force n’est pas une simple idée, un rêve inaccessible. Au contraire, elle est bien tangible : faire du vélo, mettre du vernis, ne pas porter le voile, etc. Pour transmettre cette idée, la séquence met l’accent sur des objets banals du quotidien, qui façonnent et construisent ses idéaux. Observons cette chambre qui ressemble à celle d’une adolescente occidentale et qui charrie avec elle ce vent de rébellion.

On entend une musique pop-rock anglophone : « Tongue tied » de Grouplove, chanson d’amour entraînante. Un gros plan dévoile un cintre écartelé, (peut-être à l’image de Wadjda tiraillée), sur lequel un bracelet rouge et un papier violet sont accrochés, en dessous d’une inscription énigmatique sur le mur : « danger ». Ce message de prime abord incompréhensible trouve ensuite une explication après un panoramique. Le fil de métal conduit en effet à un poste de radio, révélant un potentiel vrai danger électrique. Mais le message a aussi une valeur symbolique. Rappelons-nous la scène où Mme Hessa confisque les cassettes de Wadjda : les chansons d’amour sont jugées subversives. Elles pourraient corrompre. Le geste de Wadjda — augmenter le volume — est dès lors un pied de nez aux carcans.

Le mouvement du panoramique suit ensuite son cours pour révéler le décor, s’arrête sur le bureau encombré de la jeune fille. Dans cet espace où elle est libre et tranquille, sans surveillance, Wadja danse, se laisse aller au rythme de la musique. Le mouvement de caméra accompagne son effervescence.

Mais gagner sa liberté est illégal. C’est ce que suggère l’analogie avec la figure de la trafiquante. Wadjda range des bracelets aux couleurs vives dans des sachets en plastique. L’image fait sourire : la fille au caractère bien trempé semble assimilée à une dealeuse.

Les trois plans suivants renforcent cette impression. Gros plan sur les sachets de bracelets, puis sur les Converses pour finir sur Wadjda qui noue ses lacets comme pour tordre le cou aux clichés, le casque de musique flanqué autour du cou. Les couleurs vives (le rouge du fil, le bleu du casque, le violet des baskets, le jaune du décor) contrastent avec sa tenue grise et expriment sa révolte. Décidément, Wadjda a bien l’intention de faire la peau aux idées reçues.

Mais un bruit strident et désagréable fait incursion dans cette évadée musicale. C’est le bruit d’une brosse soufflante, dont sa mère se sert pour avoir les cheveux « lisses et soyeux » — un accessoire qui agit comme une injonction à destination de Wadjda, et qui passe par le personnage de la mère dont la première apparition est soignée.
Elle est d’abord présente à l’arrière-plan : une forme minuscule se dessine derrière le visage de Wadjda. Mais sa présence s’agrandit littéralement après un raccord regard (Wadjda se tourne : on voit adopte son point de vue, comme si nous étions à sa place). Sa mère apparaît en plan moyen, gênée par son appareil pour les cheveux qui fonctionne mal. Simple présence à l’arrière-plan, elle semble devenir un horizon pour Wadjda, presque inéluctable, comme si la seule figure qu’elle pouvait être était celle de mère ou d’épouse.
Mais Wadjda se détourne : aux activités capillaires, elle préfère le “blanchiment d’argent”. Comme une hors-la-loi, elle ouvre un tiroir, compte quelques billets puis coupe le son de sa radio. Sur le mur, on peut lire « cross / cross » : traverser.

Traverser peut-être les frontières que sa mère s’est imposées. Car on retrouve ce personnage se coiffant devant un cadre face à une photo de son mari. La légère contre-plongée (la caméra est placée en-dessous du sujet) peut être révélatrice d’une posture de soumission vis-à-vis des hommes. Elle dévoile aussi des éléments de l’intrigue :
la mère (dont on ne connaît pas le prénom d’ailleurs) admire son mari qui lui regarde déjà ailleurs. Puis, la mère gagne la cuisine et prépare une boisson chaude. Deux coups de klaxon retentissent. Le plan suivant dévoile l’origine de ce bruit : c’est Iqbal, le chauffeur de taxi.
Le raccord employé est intéressant : les deux images sont en effet liées par un même mouvement. Les personnages versent un liquide dans un récipient. Mais l’espace représenté est différent : à l’extérieur et autour d’une voiture pour Iqbal, à l’intérieur et dans la cuisine pour la mère. Ce montage distingue deux domaines. L’homme s’occupe de la voiture, la femme de la cuisine. L’un est dans un espace clos, l’autre dehors. La différence est soulignée par la place des personnages dans le cadre : à gauche pour la mère, à droite pour Iqbal.

SE FRAYER UN CHEMIN VERS LA LIBERTÉ : LE VÉLO

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