LA SÉRIALITÉ

La sérialité pré-télévisuelle

La sérialité littéraire

Au XIXe siècle, la création (et la réception) des œuvres littéraires profitent des nouvelles opportunités créées par la révolution industrielle.
Le perfectionnement des presses à imprimer permet l’essor des journaux et des périodiques à grande échelle.
A cela vient s’ajouter une alphabétisation grandissante de la population qui a ainsi accès à de nouveaux horizons « culturels ».
On voit alors apparaître, ou plutôt s’affirmer, un type de publication particulier : le roman-feuilleton qui permet une fidélisation du public.
La sérialité ouvre la porte à un nouveau type d’écriture fictionnelle dans laquelle on repousse les limites de la narration et du dénouement en multipliant les retournements de situation, les révélations...
L’auteur de feuilletons étant payé à la ligne, celui-ci se voit contraint d’étirer la masse romanesque au point de produire des lourdeurs, des répétitions et même de multiplier les erreurs dans le déroulement narratif.
La multiplication des intrigues prend le pas sur le développement des personnages souvent réduits à des figures archétypales.
Le « blue book » (du nom de la couleur de sa couverture) commence à connaître une popularité chez les jeunes lecteurs récemment alphabétisés.
Il s’agit de publications très bon-marché consistant à rééditer des romans gothiques populaires, tout en les abrégeant, sans jamais citer l’œuvre d'origine.

Il ne s'agit pas encore ici de romans sérialisés mais ils vont tout de même permettre, grâce à la littérature de colportage, de maintenir actif le genre et de parvenir quelques décennies plus tard au « penny dreadful ».

La sérialité cinématographique

De la Première Guerre mondiale au milieu des années 1950, le serial américain (également connu sous le nom de Movie serial) représente une large part de la production cinématographique.

On y distingue deux types d'œuvres :
- celles qui présentent une histoire fragmentée en différents épisodes,
- celles dont l’unité se trouve incarnée par des personnages (ou des types de situations) et dont l'intrigue est toujours bouclée en fin de séance.

L’action en était le maître-mot et les héros affrontaient la plupart du temps des ennemis diaboliques qui s'efforçaient toujours de tendre des pièges mortels aux protagonistes.
Les héros des serials muets étaient fréquemment des agents des forces de l'ordre, des détectives ou de riches héritiers.
La grande partie des clichés qu'on impute aux films d'action et d'aventure trouvent leur origine dans ces serials.
Le but premier des producteurs était d'attirer le public et de lui donner envie de revenir la semaine suivante.
Ainsi, les auteurs développent davantage le cliffhanger, élément narratif existant depuis l'apparition de la sérialité.
A l'origine, le terme représente ces pics de tension narrative pendant lesquels les personnages principaux sont suspendus dans le vide, s'accrochant du bout des doigts à une falaise tandis que leur ennemi se réjouit déjà de les voir effectuer une chute mortelle.
Cette méthode entretenait la tension narrative (par le suspense et la curiosité, voir la partie mise en intrigue ) en présentant à chaque fin d'épisode un carton indiquant «La suite au prochain épisode !».
Il est alors très rare de rencontrer dans ce type de production des thèmes surnaturels.
On peut cependant en retenir deux :
The Mysteries of Myra de Theodore et Leopold Wharton en 1916 et The Return of Chandu de Ray Taylor en 1934.
A la suite d'un incendie, il ne reste presque rien de The Mysteries of Myra.
The Return of Chandu est en revanche parvenu jusqu’à nous.
Il s’agit d'un serial en douze chapitres d'une vingtaine de minutes tiré du feuilleton radiophonique Chandu the Magician diffusé sur les ondes en deux séries distinctes dès 1931. La première version du show présentait le personnage principal, Frank Chandler, qui avait appris les secrets de l'occultisme auprès d'un yogi en Inde. Surnommé Chandu le magicien, il était capable, entre autre, de se téléporter ou de créer des illusions.
Son but : combattre un mal qui menace l'humanité. Cette première série prendra fin en 1936.
En 1932, la série fut déjà adaptée au cinéma avec Edmund Lowe dans le rôle du magicien et Béla Lugosi dans celui du vilain Roxor.
C'est enfin la troisième version de l'histoire qui nous intéresse ici : en 1934, au plus grand bonheur de ses fans, la suite des aventures du magicien Chandu est réalisée sous forme de serial. Cette fois, c'est Béla Lugosi, qui tenait le rôle du vilain dans la version originale, qui interprète Chandu.
Les douze épisodes de The Return of Chandu nous présentent alors les aventures du magicien et de sa famille (dont le seul intérêt semble être d'étirer la masse narrative en multipliant les moments où Chandu doit leur porter secours).

La sérialité radiophonique

Une grande partie des feuilletons radiophoniques a recours à son propre marquage identitaire dont le but est de séparer la fiction du reste de la diffusion radiophonique. Cette identité peut se construire à partir d'un thème musical récurrent, ou par la présence d'un “personnage-hôte” dont la voix et la parole auront pour fonction de communiquer des informations, des émotions ou des réflexions.
Passer par l'intermédiaire d'un personnage pour raconter une histoire n'est pas en soi une originalité propre du médium radio puisqu'on en retrouve des prémices dès les exemples de la littérature fantastique du XIXe siècle et même du cinéma, mais l'utilisation de ce "personnage-hôte" est extrêmement efficace.
Un exemple français :
Signé Furax est un feuilleton radiophonique français en cinq saisons, composé en tout de 10 341 épisodes d'une durée maximale de dix minutes chacun. Le feuilleton a été diffusé de 1951 à 1952 sur la chaîne parisienne de la RTF, puis de 1956 à 1960 sur les ondes d'Europe 1. Il a été créé par Pierre Dac et Francis Blanche. L'intérêt de "Signé Furax" vient de ce que l'œuvre ressortit tout autant au roman populaire, à l'aventure à suspense, voire à la science-fiction, qu'à la parodie de genre et à l'humour langagier (calembours, contrepèteries et allusions grivoises). À cela s'ajoute enfin une fantaisie constante et un univers empreint d'invention poétique.