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THE CURE / CHARLOT FAIT UNE CURE - 1917

Les débuts

Au cours de 1913, Chaplin est remarqué par le producteur Mack Sennett qui est à la recherche de nouveau talents pour la Keystone, maison de production dont il est l’homme le plus influent.
Il tourne dans son premier film le 2 février 1914 dans le film "Pour gagner sa vie".
Le personnage qu’il joue ici est loin d’être sympathique. Il s’agit d'un escroc sans scrupules.
La première apparition de Chaplin au cinéma "Pour gagner sa vie", 1914
Dès son deuxième film, Sennett l’envoie dans une situation d’improvisation totale et sans scénario préalable, au coeur d’une course de voiturettes en lui disant : "il en restera bien quelque chose".
C’est ce même jour que Chaplin aurait inventé le personnage du vagabond.

Dans son autobiographie, il décrivit le processus : "Je voulais que tout soit une contradiction : le pantalon ample, la veste étriquée, le chapeau étroit et les chaussures larges… J'ai ajouté une petite moustache qui, selon moi, me vieillirait sans affecter mon expression. Je n'avais aucune idée du personnage mais dès que je fus habillé, les vêtements et le maquillage me firent sentir qui il était. J'ai commencé à le connaître et quand je suis entré sur le plateau, il était entièrement né".
Le "premier Charlot" : Kid Auto Races at Venice, 1914
Charlot cherche déjà à occuper le centre du plan, un espace où il n’est pas censé se trouver.

Précisons que le nom "Charlot" n’existe qu’en France. C’est le diminutif du prénom de Chaplin que les distributeurs français de l’époque ont attribué au personnage.
Ailleurs, et notamment pour Chaplin lui même, le personnage est appelé "The tramp" : le vagabond. On pourra se demander avec les élèves si le personnage de The Cure est bien Charlot.
Charlot au Music Hall, 1915 : le bourgeois et le marginal
Dans Charlot au Music Hall (1915), Chaplin joue deux rôles : celui d’un clochard qui se trouve avec le public populaire, et celui d’un grand bourgeois installé à l’orchestre. Chaplin est donc à la fois le personnage marginal et celui de "la haute société".
On peut voir ces deux entitées comme une déclinaison de ce que deviendra Charlot. Elles ne formeront plus qu’un seul corps dans un seul costume avec le "gentleman vagabond" que nous connaissons.
Le personnage de Charlot dans The Kid
Le haut du costume (policé mais contraint car trop étroit pour Charlot) s’opposant au bas trop large (ses pulsions qu’il ne peut contenir).

Le principe de fonctionnement est déjà présent dans The Cure : trouver un équilibre entre ces deux parties du corps à priori inconciliables.
The Cure : un corps coupé en deux
Il s’agit d’une scène qui illustre parfaitement l’idée du corps coupé en deux de Charlot : le "haut-gentleman" du personnage salut civilement la jeune fille mais son "bas-vagabond" provoque son déséquilibre et il chute sur le pied du goutteux.

Dans ses premiers films, Charlot est un égocentrique qui ne cherche qu'à satisfaire ses instincts et ses pulsions. Son cinéma est exclusivement comique, sans dimension mélodramatique. Il est irrévérencieux et certains le voient volontier anarchiste. Son corps exprime le mouvement, la dynamique, la modernité… le succès est fulgurant.

Mais en 1917, Chaplin, continue à incarner d’autres personnages. Il est en effet tour à tour pompier, machiniste, boxeur, homme de ménage dans une banque, policier, évadé de prison…

L’ivresse

Il peut-être ici opportun de revenir rapidement sur la biographie de Chaplin pour comprendre ce film. Chaplin connaît les ravages de l'alcool. Son père en est mort après avoir abandonné le foyer alors qu’il n’avait que 3 ans. Chaplin a véritablement connu la misère, la faim et la peur du lendemain pendant toute son enfance.

C’est un homme hanté par l’angoisse de la privation et de la pauvreté. Son idée comique vient comme un exorcisme à cette terreur. Il s’agit d’échapper sans cesse au destin.
The Cure : la porte tournante
Toutes les composantes du burlesque Chaplinien sont présentent dans cette scène :

Très visuelle, elle permet à Chaplin une belle métaphore de l’ivresse : la porte tournante provoque perte de repères et de l’équilibre.

En actionnant la porte tournante, le personnage crée instantanément une énergie qui va générer du désordre.

On décèle un travail de plateau, plutôt que de scénario, autour d’une situation de départ : l’interaction corps/décors est exploitée à l'extrême et peut sembler infinie.
La mise en scène frontale de Chaplin parait simple mais elle sert sa pantomime et révèle un pur plaisir de jouer.
Charlot est toujours au centre de l’écran et est le moteur de l’action. L’enjeu est récurrent pour les personnages de Chaplin : comment occuper cet espace dont on veut me chasser ?

On retrouve l’opposition du fort (massif, bestial, poilu) et du faible au sein du motif de la poursuite répétitive (mais dans un espace circulaire et au centre du plan). Coups et douleurs n'épargnent ni l’un ni l’autre des deux protagonistes ( la tête de Charlot puis le pied du goutteux coincés dans la porte).

Cette mise en scène très sobre pourra être confrontée avec les élèves à celle minutieuse, calculée au millimètre près, de Buster Keaton et à son jeu minimal.
The Cure : l’ivresse se déverse sur les patients de la thalassothérapie
Pendant que Charlot a repris des forces dans le salon de massage, l’ivresse s’est déversée sur les patients de la thalassothérapie. C’est un système de vase communicant : Charlot redevient gentleman grâce notamment à sa rencontre avec la jeune fille mais l'alcoolémie et le dynamisme qu’il a apporté dans l’espace social libère les pulsions (notamment sexuelles) de tous les autres.
L’ivresse les délivre des contraintes sociales et morales.

Nous avons donc un film divisé en deux parties : dans la première, Charlot ne maîtrise ni son corps, ni ses pulsions (l'alcool et les femmes), ce que pourtant la contrainte sociale exige de tous.

Dans la deuxième partie du film, nous assistons à une inversion globale du statut de l’eau et de l’alcool. Charlot à une maîtrise parfaite de son corps (en particulier lorsqu’il s’agit d’éviter l’eau et de nager hors de la piscine), mais les autres ne se maîtrisent plus et cèdent à toutes leurs pulsions.

Les corps sont libérés des contraintes du puritanisme et des attitudes imposées par le lieu. Le personnage burlesque perturbe ainsi le champs social en y intégrant le désordre.
On remarquera également la métamorphose des objets avec l'exemple de cet homme saoul qui utilise une lampe comme saxophone.

Cette représentation libertaire de la sexualité dans le burlesque sera d’ailleurs une des origines de la réaction moralisatrice du code Hays (code d’autocensure de la production cinématographique américaine initiée par le sénateur Hays).
The Cure la fin : une bonne volonté est immédiatement mise à mal
La fin, on pourrait dire "la chute", du film est filmé cadre serré sur le haut des corps des deux personnages, mus à présent par le cœur et la raison.

Mais cette bonne volonté est immédiatement mise à mal dans le plan suivant (on passe au plan large qui réintègre le bas du corps) : Charlot tombe dans la fontaine alcoolisée, encore une fois trahi par le bas de son corps.